Arrêts de travail automatiques pour suspicion de Covid-19 : y a-t-il un risque d’abus ?
LA VÉRIFICATION – Ces nouveaux arrêts de travail annoncés par Jean Castex suscitent des interrogations. Quel est le dispositif précis et des fraudes sont-elles possibles ?
Par Guillaume Poingt
Une personne ayant des symptômes ou étant cas contact pourra s’inscrire sur le site de l’Assurance maladie pour obtenir un arrêt de travail «immédiat» à compter du 10 janvier. Fotolia
LA QUESTION. De nouveaux arrêts de travail vont bientôt voir le jour. Jeudi, le premier ministre Jean Castex a annoncé qu’à compter du 10 janvier, «pour gagner en efficacité» face au Covid-19, une personne ayant des symptômes ou étant cas contact pourra s’inscrire sur le site de l’Assurance maladie pour obtenir un arrêt de travail «immédiat» indemnisé sans jour de carence.
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«À partir du 10 janvier, dès que vous avez des symptômes ou que vous êtes cas contact, il vous suffira de vous inscrire sur le site de l’Assurance maladie pour obtenir un arrêt de travail immédiat indemnisé sans jour de carence», a précisé le premier ministre lors d’une conférence de presse. «L’Assurance maladie procédera à un suivi systématique avec deux à trois appels téléphoniques sur 7 jours. Chaque personne déclarée positive se verra proposer à compter du 20 janvier une visite à domicile par un infirmier», a-t-il ajouté.
Comment fonctionnera ce nouveau dispositif, et comporte-t-il des risques d’abus ? Ce vendredi, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a notamment dit craindre «un absentéisme incontrôlé» et «une très forte augmentation des arrêts de travail» . «La CPME s’inquiète des conséquences éventuelles de cette annonce qui revient à consacrer le caractère automatique de l’arrêt de travail en cas de symptômes supposés et ce, sans aucun contrôle médical ni test préalable», explique l’organisation patronale.
VÉRIFIONS. Contactée ce vendredi par Le Figaro, la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (Cnam) nous renvoie à un communiqué de presse publié ce vendredi. Afin d’éviter la propagation du virus, «il est crucial que les personnes testées positives à la Covid-19 ainsi que les personnes ayant des symptômes évocateurs de cette maladie et en attente du résultat de leur test s’isolent immédiatement», explique la CNAM. Premier enseignement : les personnes qui pourront obtenir un arrêt de travail et une prise en charge par l’Assurance Maladie des indemnités journalières dès le premier jour d’isolement seront uniquement celles qui ne peuvent pas télétravailler.
«L’esprit est louable mais fatalement il faut prévoir des risques d’abus»
Concrètement, pour bénéficier du dispositif – à partir du 10 janvier 2021 -, les personnes présentant des symptômes du Covid-19 pourront demander un arrêt de travail dérogatoire sur le site declare.ameli.fr ou declare.msa.fr (pour les travailleurs agricoles). Dès lors, il y aura deux étapes majeures à faire en ligne.
Première étape : il faudra faire une déclaration d’isolement sur le téléservice et s’engager à passer un test de dépistage (test PCR ou test antigénique) dans les deux jours suivant le jour de la déclaration. À la fin de cette première étape, les salariés pourront télécharger un justificatif (récépissé de demande d’isolement) à envoyer à leur employeur pour justifier leur absence. Deuxième étape : il faudra enregistrer, toujours en ligne, la date du résultat du test et le lieu de dépistage. L’arrêt de travail ne sera définitivement validé qu’une fois la date de résultat du test de dépistage enregistrée sur le service en ligne, précise la Cnam.
Vient ensuite le moment du résultat. Point essentiel : que le test soit positif ou négatif, des indemnités journalières seront versées entre la déclaration d’isolement et la date de résultat du test. «La durée ne peut dans tous les cas excéder quatre jours», précise la Cnam. Lorsque le résultat est négatif, l’Assurance Maladie met fin à l’arrêt de travail qui a été demandé en ligne. L’indemnisation prend alors fin et la personne peut reprendre son activité professionnelle. En cas de test positif, la personne sera appelée par l’Assurance Maladie et le conseiller prescrira une prolongation d’arrêt de travail afin de garantir un isolement de sept jours en tout.
Ce «parcours administratif» pose la question d’éventuels abus. «Le fait d’éviter des contaminations est louable», estime Me Eva Touboul, avocat en droit du travail. Elle évoque notamment les salariés ayant des débuts de symptôme, ne pouvant pas télétravailler, mais qui viendraient quand même travailler sur site de peur d’être privés de salaire. «L’esprit est louable mais fatalement il faut prévoir des risques d’abus qui seront incontrôlables car, que le test soit positif ou négatif, les jours passés à attendre le résultat du test sont pris en charge par la Sécurité sociale», poursuit Me Eva Touboul. On peut en effet imaginer que des personnes n’ayant absolument aucun symptôme s’inscrivent en ligne, puis fassent un test, dans le but d’avoir un arrêt de travail tout en touchant des indemnités. En effet, «l’auto-diagnostic» prime dans ce dispositif et il n’est pas nécessaire de passer par un médecin. Interrogée sur ce point, la Cnam répond sobrement : «Des contrôles seront menés pour éviter ce type de détournement». Ce cas de figure semble difficile, voire impossible, à contrer et à sanctionner.
Une autre interrogation concerne l’enregistrement en ligne de la date du résultat du test et du lieu de dépistage. On peut très bien imaginer le cas d’un individu qui donnerait une date sans avoir pris réellement rendez-vous dans un centre de dépistage. «Pour éviter toute utilisation détournée ou excessive de ce service, l’Assurance Maladie procédera à des contrôles réguliers. La personne doit renseigner des informations sur le lieu ou le professionnel de santé auprès de qui a été réalisé le test pour vérification. Il sera précisé aux assurés qu’ils devront conserver tous les justificatifs de leur situation», précise la Cnam. Quoi qu’il en soit, la réussite de ce nouveau dispositif dépendra incontestablement en grande partie de la bonne foi des assurés.